Arnaud
« Le dictateur a tenté de mettre un terme à sa guerre commencée quelques mois plus tôt en appuyant sur le bouton nucléaire. Je croyais avoir été malin en construisant un abri atomique sur le toit d’une maison du parc dans le 9-3, dominant Paris et la banlieue. Je m’y étais installé quelques jours plus tôt. Depuis, chaque matin, je m’éveillais à l’heure exacte du lever de soleil, que la bombe n’avait pas altéré. J’étais seul dans ma boîte vitrée à l’est et à l’ouest. Je me sentais tel un gardien de phare, à veiller sur cette ville dans laquelle je vivais depuis si longtemps.
La bombe ayant explosé à 1km d’altitude, elle était demeurée intacte, seulement vidée de la plupart de ses armes. Les animaux avaient survécu, en particulier chiens et oiseaux. Étrangement, quelques personnes avaient également survécu mais ils ne devaient pour certains jamais cesser de courir, d’autres devaient être accompagnés de leurs chiens, enfin certains étaient contraints de rouler, enfermés dans leur voiture, sachant que la panne sèche les condamnait à rejoindre les disparus.
Ce matin-là encore, l’homme au polo rouge arpentait de gauche à droite le parc en courant sans cesse, tel un zombie, jusqu’à ce que l’épuisement total s’empare de lui et le condamne. L’homme âgé promenait son chien qui depuis quelques jours ne lâchait jamais sa balle jaune. La jolie femme et sa chienne marronne cessait de rentrer et sortir du bois. Une hirondelle est passée, apportant quelques joies.
Je veillais donc sur cette terre écorchée, sur ses immeubles, dont on pouvait relier la construction à un épisode de l’histoire du 20e siècle, ceux ayant remplacé la zone cernant la ville, ceux construits après-guerre, ceux construits rapidement pour loger les populations vivant précédemment dans des bidonvilles, ceux encore dessinés par quelques architectes soucieux de laisser son nom dans l’histoire, grâce à un geste architectural hasardeux. Je pouvais reconstituer l’histoire, mais sans ceux qui l’ont vécu, ou ceux qui en sont les dépositaires, quel intérêt ?
Ce matin-là, le vent soufflait sur les arbres intactes. Je regardais l’horizon bloqué par le skyline aléatoire. Je regardais le ciel, il y avait une nouveauté ce jour-là, les avions remplis de gens qui pouvaient survivre en altitude, fendaient en deux le ciel. Il s’arrêtait à des arrêts éphémères construits par la vapeur de leur réacteur, quelques personnes en descendaient, je les voyais rapidement disparaître dès lors que la raie se désintégrer. J’ai donc continué à veiller seul, là dans mon abri. Mais seul, face à soi-même, plus d’une heure, cela a-t-il un sens ? »
Arnaud